Agis ta Terre à la découverte de l'entrepreneuriat social

UN LAMA POUR TOUS

C’est ici que tout commence. L’homme en pleine explications à l’accent français c’est el Padre. Il propose aux femmes de ce petit village un projet particulièrement original.

Bonnet et écharpe en laine de lama vissés sur la tête, nous le suivrons pendant une semaine à près de 3200 mètres d’altitude. Plus que nul part ailleurs l’expression « la tête dans les nuages » prend toute sa signification. Le Chimborazo nous surveille tantôt caché, tantôt dégagé; il a été le fil rouge de notre périple en Equateur.

Dans la paroisse de Calpi, province du Chimborazo, des familles entières vivent à l’écart des villes dans des conditions précaires. D’origine quechua, elles ont souffert de l’occupation espagnole et se sont réfugiées dans les hauteurs où le climat y est aride et la terre pauvre. Elles peinent à satisfaire les besoins vitaux des leurs enfants. Leurs maux sont multiples ; émigration massive, exode rural, forte mortalité infantile. Désormais rejetés par les métisses, les indigènes et leur culture sont en péril, en témoigne la lente disparition du lama en Equateur. Arrivé d’Amérique du Nord il y’a 10 millions d’années, bon nombre de croyances et coutumes andines se sont forgées autour de l’animal. Les phénomènes de migration et mondialisation les ont cependant progressivement obscurcies, concourant à l’extinction du camélidé.

Petit problème mathématique: Sachant que l’on confie 10 lamas femelles à une communauté, à laquelle est remise un mâle pour la reproduction et que la période de gestation est de 11 mois, combien de petits lamas naîtront des accouplements après 4 années ?

C’est la réponse à cette question qui a motivé el Padre à développer l’impensable idée de réintroduire le lama en Equateur. D’autant plus que les attraits de l’animal sont multiples. Sa laine, particulièrement rude, est d’une qualité supérieure à celle du mouton. Sa peau est utilisée pour la confection de vêtements et produits d’artisanat. Sa viande, riche en protéine, constitue un excellent complément alimentaire. Ses pattes pourvues de coussinets coupent l’herbe sans l’arracher, il produit un engrais très riche qui fertilise le sol, on prête même à son urine des vertus médicinales. Il existe donc des opportunités à valoriser, respectant la culture indigène et son environnement.

Originaire du diocèse de Beauvais, le Père Pierrick Van Dorpe a créé l’association Ahuana en 1998  (« tisser » en quechua) pour permettre aux populations locales d’améliorer leurs conditions de vie. Instigateur de ce projet singulier il travaille en partenariat avec le Ministère de l’Agriculture Equatorien, qui l’a financé en partie, et les groupes de femmes, qui en sont les premières interlocutrices.

En se rendant dans un premier temps dans les régions les plus reclues de la Sierra, il propose aux autochtones d’adopter gratuitement une femelle lama. Afin de « rembourser ce prêt » ils devront céder un nouvel animal à l’association, dans les 4 ans. Un mâle reproducteur ira de ferme en ferme.

Victime de son succès, il est parfois contraint de procéder à un tirage au sort pour attribuer les meilleures bêtes. Une fois l’heureux propriétaire connu, il repart avec son lot à quatre pattes. Catherine, une vétérinaire française venue ici pour 2 ans, veille à la santé des animaux, en assure le suivi et forme les villageois aux premiers soins. 189 camélidés ont ainsi été réinsérés depuis 2004.

Parallèlement à cette action, l’association soutient le développement de micro entreprises autour du lama, multipliant de ce fait les retombées économiques.

Un musée qui lui est consacré a été inauguré cette année par la Ministre de la Culture. Une femme y est employée comme guide et deux groupes de trois en tant qu’accompagnatrices d’un parcours de découverte du lama au pied du Chimborazo. Un restaurant a été construit à Palacio Real. Employant 4 femmes, il a la particularité de proposer de la viande lama au menu (les lasagnes de lama sont délicieuses !). Achetée à prix fixe auprès des familles bénéficiaires du programme de réinsertion du lama, elle ne subit pas les fluctuations du marché et leur assure une rente stable. Les femmes prennent des cours de cuisine et projettent d’offrir du Cuy au menu (cochon d’Inde grillé à la broche ; on va essayer, promis…). Un atelier de filage permet la confection de vêtements chauds en laine de lama, alimentant ainsi le magasin de commerce équitable du village. Pour finir une Casa de Touristo accueille les voyageurs désireux de sortir des sentiers battus.

Autour d’une idée simple el Padre a impulsé une dynamique économique dans de nombreuses communautés marginalisées.  En leur permettant d’être acteurs du développement et non plus de le subir, ces initiatives entrepreneuriales offrent aux indigènes  la possibilité d’adoucir leur quotidien tout en préservant leur identité culturelle.

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